La philosophie morale ne se laisse pas dompter par une seule voix. Elle s’ouvre en deux courants majeurs qui, loin de se tourner le dos, s’entrecroisent et nourrissent la pensée contemporaine : l’éthique normative et l’éthique appliquée. L’une s’attache à la recherche des principes universels, interrogeant inlassablement la frontière du juste et de l’injuste. L’autre, les deux pieds sur terre, confronte ces grands principes aux dilemmes concrets de notre époque, explorant les zones grises de la médecine, des affaires ou de l’environnement. Cette dualité offre un éclairage nuancé, ancré dans la réalité, rendant la réflexion philosophique vivante et accessible.
Les deux divisions principales de l’éthique
L’éthique s’impose comme une branche incontournable de la philosophie qui tente, avec patience et exigence, de cerner ce qu’est une conduite juste. Elle interroge les valeurs qui fondent nos choix, les droits et devoirs qui traversent nos existences, et s’attaque à la définition du bien et du juste.
L’éthique normative : principes et applications
Dans cette première catégorie, l’éthique normative s’efforce de bâtir des règles morales qui résisteraient à toutes les époques. Aristote, figure fondatrice, s’y est illustré dans son « Éthique à Nicomaque ». Pour lui, le bonheur représente la finalité de la vie humaine, et la vertu la voie à suivre pour l’atteindre. Les écoles de pensée sont multiples ; voici les principales :
- Déontologisme : il s’appuie sur des devoirs et obligations, érigeant certaines règles en absolus.
- Utilitarisme : il privilégie la recherche du plus grand bien pour le plus grand nombre, évaluant chaque action à l’aune de ses conséquences.
- Éthique des vertus : elle mise sur le développement des qualités morales, invitant chacun à cultiver ses meilleures dispositions.
L’éthique descriptive : observation et analyse
L’éthique descriptive, elle, prend le contre-pied de la prescription. Pas de règle universelle ici, mais une analyse attentive de ce que les personnes font réellement, et pourquoi. Ruwen Ogien, référence de la philosophie analytique, a marqué cette approche en misant sur l’enquête conceptuelle plutôt que sur la morale imposée. L’éthique descriptive se penche sur :
- L’analyse des pratiques morales à travers les cultures et les sociétés.
- L’observation des évolutions des normes et des valeurs au fil du temps.
- L’étude des mécanismes psychologiques et sociaux qui guident ou influencent les décisions morales.
L’éthique normative : principes et applications
Élaborer des principes qui transcendent les contextes particuliers : telle est l’ambition de l’éthique normative. Aristote, avec son regard aiguisé, a ouvert la voie en affirmant que la poursuite du bonheur passe par la pratique assidue des vertus. Les grandes orientations de cette branche se déclinent ainsi :
Déontologisme, utilitarisme et éthique des vertus
- Déontologisme : ici, ce sont les principes qui priment. Emmanuel Kant, avec ses « Fondements de la métaphysique des mœurs », incarne cette vision où certains devoirs ne se discutent pas.
- Utilitarisme : Jeremy Bentham et John Stuart Mill ont défendu cette théorie, fondée sur l’idée que la valeur d’une action dépend du bonheur qu’elle produit collectivement.
- Éthique des vertus : Aristote défend la notion de juste milieu : la vertu s’acquiert, se cultive, et chaque individu est invité à trouver l’équilibre entre les excès.
Applications pratiques
Ces principes ne restent pas dans les livres : ils irriguent les choix quotidiens dans divers domaines. Voici quelques exemples concrets :
- Éthique médicale : comment décider d’un traitement lorsque les intérêts du patient et du collectif s’entrechoquent ?
- Éthique professionnelle : la prise de décision dans le monde du travail s’appuie sur ces repères moraux, notamment face à des conflits d’intérêts ou des questions de responsabilité.
- Éthique environnementale : les débats sur la préservation de la nature puisent dans ces théories pour penser nos responsabilités face à la planète.
Aristote reste un point de passage obligé, mais chaque courant ouvre une porte originale pour interroger la complexité du jugement moral.
L’éthique descriptive : observation et analyse
Loin de chercher à imposer des règles, l’éthique descriptive observe les comportements tels qu’ils se manifestent, dans toute leur diversité. Elle met en lumière la pluralité des valeurs, sans chercher à dire ce qui devrait être. C’est une démarche qui permet de comprendre les logiques et les systèmes de valeurs qui traversent les sociétés humaines, sans se poser en arbitre.
Les contributions de Ruwen Ogien
Ruwen Ogien a marqué ce champ en insistant sur la nécessité d’une analyse conceptuelle lucide, débarrassée de la tentation de juger. Il s’est attaché à disséquer les concepts moraux, préférant l’observation aux prescriptions. Pour lui, l’éthique doit s’appuyer sur les faits et non sur des injonctions.
Les champs d’application
Cette démarche trouve de multiples terrains d’expression, notamment :
- Anthropologie : exploration des codes moraux d’une culture à l’autre.
- Sociologie : analyse du poids des normes collectives dans la vie quotidienne.
- Psychologie : étude des ressorts cognitifs et émotionnels qui façonnent nos jugements moraux.
En observant les pratiques réelles, l’éthique descriptive offre un panorama précieux de la diversité des comportements. Elle permet ainsi de cerner ce qui, derrière les différences, fait le socle de l’expérience morale.
L’impact des deux divisions sur la pensée philosophique
La démarcation entre éthique normative et descriptive structure profondément la philosophie morale. Les différentes branches de la philosophie, épistémologie, métaphysique, esthétique et éthique, se renvoient la balle pour proposer une vision globale de la condition humaine et de ses valeurs.
Éthique normative : principes pour l’action
Les travaux d’Aristote, parmi d’autres, offrent des repères pour décider ce qui mérite l’appellation de juste. Cette manière de poser des normes, de chercher des critères d’action, s’applique aussi bien à la bioéthique qu’au droit ou à la politique.
Éthique descriptive : comprendre le réel
La perspective descriptive, défendue notamment par Ruwen Ogien, éclaire la manière dont les sociétés concrétisent, adaptent ou transgressent les principes moraux. Elle se révèle précieuse pour analyser, sans jugement, la variété des pratiques et des croyances. Les recherches anthropologiques, sociologiques ou psychologiques s’en nourrissent largement.
Ces deux axes, loin de s’exclure, forment une dynamique féconde. L’éthique normative propose un cap, l’éthique descriptive fait la lumière sur le terrain. Face à la complexité morale de notre temps, elles invitent à penser la morale comme un chantier toujours ouvert, où la réflexion se nourrit tout autant de principes que de réalités vécues. Voilà peut-être le secret de leur force : croiser la rigueur des idées et la richesse des expériences humaines.


